Les chiffres sur l’organisation de mercenaires russes sont très incertains, compte tenu de la nature opaque de ses activités, mais les revenus engrangés par Wagner, ces dix dernières années, sont compris entre plusieurs centaines de millions et quelques milliards de dollars, selon différentes sources. L’on arrive, cependant, à établir le carnet de commande de l’entreprise de manière plus ou moins exhaustive. Jadis vue comme une vulgaire agence d’intérim spécialisée dans le placement d’aventuriers sans foi ni loi, prêts à prendre les armes pour quelques liasses de devises, Wagner est désormais considéré par tous les experts en sécurité et guerre d’influence comme le proxy officiel de Moscou, pour des missions que la Russie ne peut pas, ou ne souhaite pas assumer.
De l’Ukraine au Sahel en passant par la Syrie, la Libye, le Soudan et la République centrafricaine (RCA), le carnet de commande de Wagner est tout aussi diversifié et hétéroclite que le serait celui d’un tueur à gage. Le seul lien entre ces conflits dans lesquels l’organisation russe est intervenue, c’est l’implication direct ou indirect de Moscou. Si on peut penser à priori qu’il s’agit juste de tirer le maximum de gain financier possible, les questions d’influence ne sont guère bien loin, d’où le rôle de proxy de la Russie qui sied bien à Wagner et que la machine créée par Evgueni Prigojine exécute à merveille.
Au commencement était Prigojine ?
Le fondateur de Wagner est un repris de justice. Certains estiment même d’ailleurs qu’il n’a jamais cessé d’être un voyou, assimilant ses activités de patron d’une entreprise de mercenaires comme une manière de rendre licite une activité illégale, voire mafieuse.
En 1981, alors qu’il n’a que vingt ans, Evgueni Prigojine est un délinquant notoire, bien connu des services de police de sa ville natale de Saint-Pétersbourg, qui a également vu naître le président Poutine. Il effectue plusieurs séjours en prison pour divers délits : vols à mains armées, escroquerie, racket, etc. Dans le microcosme du grand banditisme de la ville de Saint-Pétersbourg, il se dit alors qu’il vaut mieux ne pas croiser le chemin de Prigorine. D’une carrure imposante, avec une gueule de tueur dans les films de gangster, le jeune Evgueni sert en effet de gros bras aux barons de la mafia locale, pour lesquels il exécute des sales besognes.
1990, Evgueni Prigojine est libre. Il vient de passer dix ans derrière les barreaux. Il a profité de son incarcération pour s’initier à la cuisine, parmi les métiers auxquels sont formés les pensionnaires dans l’univers carcéral, en vue de préparer leur éventuelle réinsertion. Et le délinquant révèle un vrai talent dans ce domaine. Sorti de prison, il ouvre son premier restaurant, le New Island, qui devient très vite une des tables les plus courues de Saint-Pétersbourg. Travailleur et inventif, il semble avoir trouvé sa voie. La réputation du restaurant de Prigorine est telle que Vladimir Poutine est un des clients réguliers de l’établissement. Lorsque l’ex-agent du KGB arrive au pouvoir en 1999, c’est donc tout naturellement qu’il ouvre les portes du Kremlin à Prigojine. Il y est souvent invité à exercer ses talents culinaires, lors de certaines occasions, d’où son surnom de « cuisinier de Poutine », même s’il n’a jamais servi comme Chef titulaire, dans les cuisines du palais présidentiel.
La naissance de Wagner
Evgueni Prigojine profite de sa proximité avec le nouvel homme fort du pays pour s’ouvrir de nouveaux marchés. Il se fait attribuer le juteux contrat de la gestion des cantines au sein des casernes, puis de catering au profit des unités en opération. L’homme tire un double profit de son contact avec ce nouvel environnement : il apprend à connaître l’armée et à y tisser des liens avec les officiers qui vont, plus tard, créer avec lui Wagner, en 2014. Ses marchés dans l’armée lui rapportent surtout beaucoup d’argent. L’ex-voyou devient riche, et même très riche. Sukhankin Sergey, chercheur reconnu comme expert dans les affaires russes, estimait dans un article qu’il a publié en 2018 que M. Prigojine avait investi jusqu’à 120 millions de dollars (quelques 74 milliards F.CFA) dans Wagner.
Jusqu’à sa disparition, Evgueni Prigojine n’a jamais expliqué comment ils en sont arrivés à nommer son organisation Wagner, mais certaines sources soutiennent que ce nom proviendrait du nom de guerre de son vrai concepteur -Dimitri Outkine-, Prigojine n’ayant été au départ que l’investisseur qui y a injecté les premiers fonds. Cet ancien officier des forces spéciales russes avait vraisemblablement une fascination pour Richard Wagner, le compositeur préféré d’Hitler.
Les médias et la guerre de l’information sont les premiers volets de l’influence russe. Les États africains, souvent critiqués par les Occidentaux et certaines institutions internationales, sont à la recherche d’une forme de considération. Les peuples africains, de plus en plus, ont l’impression que leurs gouvernants sont généralement traités avec condescendance par les Occidentaux, donnant par moment l’impression de n’être que de simples obligés, des marionnettes. Des propos arrogants et paternalistes d’Emmanuel Macron, vis-à-vis des dirigeants africains, ne sont qu’une illustration soft de ce qui irrite l’Afrique dans sa relation avec l’Occident. Moscou flaire dans cette situation le bon filon. Plus besoin d’enfoncer une porte grandement ouverte par le comportement parfois extrêmement méprisant de certains dirigeants occidentaux.
On a bien remarqué, depuis au moins une décennie, un déferlement sur la toile de messages anti-français et plus généralement anti-occidentaux, vers l’Afrique. Comme le relève des documents de services de renseignements d’un pays européen que nous avons pu consulter, « une partie des Africains, qui traîne de vieux contentieux coloniaux non-soldés avec les ex-puissances tutélaires, relaie sans modération ni filtre les diatribes anti-françaises et les éléments de langage sortis des laboratoires russes, diffusés à travers les réseaux sociaux».
En Centrafrique comme dans le Sahel, la France est intervenue pour annihiler l’action des bandes armées et des fondamentalistes, mais quelques années après, c’est toujours l’enlisement. La propagande russe, à travers Wagner, trouve une réponse des plus simplistes à la situation : si la France n’en vient pas à bout, c’est parce que c’est elle qui finance et arme les groupes rebelles en Centrafrique, et les djihadistes dans le Sahel. Aussi invraisemblable que cela puisse paraître, ce narratif mensonger convainc une grande partie des opinions africaines, friande de la rumeurs. Lassées et traumatisées par des guerres asymétriques sans fin, avec son lot de victimes civiles et militaires, les populations -en Centrafrique comme dans le Sahel- se retournent contre la même armée française qu’elles avaient accueillies en sauveurs, quelques années auparavant. Sans avoir tiré un seul coup de feu, la Russie a ainsi réussi à chasser la France de son pré-carré, rien que par la désinformation ; rien que par ce qu’on qualifie désormais de guerre d’influence.
Guerre d’influence : celui qui contrôle l’information gagne la guerre
Wagner n’est en réalité qu’un nom générique. Juridiquement et de façon formelle, il s’agit plutôt du groupe Concord Management Consulting. Basé à Saint-Pétersbourg, c’est la maison-mère de toute l’organisation de Prigojine. C’est elle qui englobe toutes les activités du groupe qui opère dans plusieurs domaines : l’alimentation (à l’origine de la fortune à travers la société Concord Catering au profit de l’armée russe), la sécurité et l’influence (propagande et désinformation). Alors que l’entreprise de mercenaires opérait jusqu’ici dans une totale opacité, au point d’être considérée par certains comme un mythe, elle a inauguré son siège dans une tour en plein centre de Saint-Pétersbourg, le 4 novembre 2022.
Si Wagner est plus visible, à travers la présence de mercenaires sur différents théâtres d’opérations, l’influence demeure une activité fondamentale, mais secrète, du groupe d’Evgueni Prigojine. Une fois qu’on a injecté des fausses informations dans la conscience collective des populations cibles, l’on s’emploie à tout faire pour qu’elles y restent, très longtemps, voire ad vitam aeternam. Ce pan de l’action du groupe est exercé par Patriot, filiale de Concord Management Consulting. Patriot agi à travers deux agences : l’Internet Research Agency (IRA) et RIA Fan.
Depuis le siège de l’organisation à Saint-Pétersbourg, c’est Yaroslav Ignatovsy et Igor Osadchy qui sont aux commandes de IRA. Ces spécialistes des activités confidentielles de guerre de l’information sont à la tête de véritables manufactures à trolls. Leur efficacité est telle qu’en 2016, les États-Unis avaient clairement identifié IRA d’être, je cite : «une entreprise de production de fausses informations qui, sous de faux comptes, mène des actions de déstabilisation, à travers les réseaux sociaux». Rétrospectivement, tous les experts des médias sociaux ont fini par démontrer l’action de la Russie dans les attaques répétées contre Hillary Clinton, qui ont très probablement impacté le choix des électeurs américains en faveur de Donald Trump, identifié par le Kremlin comme moins hostile. Le 7 novembre 2022, le chef de Wagner reconnaissait publiquement sa participation directe à l’opération tendant à empêcher l’élection de l’épouse Clinton.
L’Afrique comme « marché » pour fake news russes
Travaillé depuis plusieurs années par les « Trolls russes », le public africain est devenu une sorte de marché juteux, qui s’arrache les fake news les plus fantaisistes sortis des officines russes. Et l’opinion africaine réagit toujours dans le sens souhaité par ceux qui sont derrière ces fausses informations. On se souvient de ces nombreuses manifestations anti-françaises qui ont souvent précédé la demande de départ de l’armée française des pays du Sahel.
En décembre 2021, des partisans de l’opposition sénégalaise s’en prennent à plusieurs enseignes françaises, dont des supermarchés et stations-service, alors que la France n’était nullement impliquée dans les querelles entre le président Macky Sall et ses adversaires. On ne saurait expliquer autrement ces actes, si ce n’est la manifestation de l’effet de l’intox anti-française, conçue et diffusée par la Russie.
N’allez surtout pas dire aux populations du Mali ou du Burkina Faso que la France n’exploite aucune ressource de ces États. Tous deux producteurs d’or, cette ressource -dans ces pays- est notamment exploitée par des entreprises sud-africaines, américaines, britanniques et australiennes. Aucune compagnie française n’est présente dans le secteur minier au Mali ou au Burkina Faso. Au Niger, c’est la compagnie publique chinoise qui exploite le pétrole et au Tchad, ce sont les Américains qui pompent l’or noir. Et si l’ex-puissance coloniale a le monopole de l’uranium au Niger, il n’en dépend pas et Niamey est un producteur moyen, à l’échelle planétaire.
Des fausses vidéos de soldats français prétendument en train de dérober des lingots d’or en Afrique aux massacres des civils par l’armée française, en passant par des livraisons d’armes et de motos aux fondamentalistes du Sahel, les médias locaux diffusent à profusion des reportages sur le pillage des ressources minières du Mali, du Burkina Faso et du Niger, par l’armée française. Ces informations sortent directement des officines de désinformation de Wagner, mais la très large majorité de ceux qui les relaient l’ignorent, que ce soit les médias traditionnels ou les influenceurs africains. Comme c’est la règle pour toute opération de désinformation bien conduite, le narratif se construit à partir de faits réels, ensuite déformés. Dans le cas d’espèce, ces actes de guerre de l’information se fondent sur un fait historique: l’exploitation des ressources de ces pays par la France pendant la colonisation. Cela ne correspond certes plus à la réalité d’aujourd’hui, mais les esprits sont prédisposés -par le poids de l’histoire- à croire que l’exploitation coloniale se perpétue aujourd’hui encore.
Si IRA est dans la stratégie et le monitoring général, l’entreprise russe Ria Fan, autre versant de Patriot, est l’organe opérationnel des activités récurrentes de désinformation et de propagande. Plus spécifiquement, elle est dans la production de contenus et le recrutement des vecteurs et relais. Sur le terrain, Ria Fan utilise tous les vecteurs possibles en finançant des médias locaux comme la radio centrafricaine Lengo Songo, des sites d’influence ouvertement pro-russes comme Bangui24news ; des médias en lignes comme Malijet, particulièrement en vogue à Bamako ou dans la diaspora malienne. Des influenceurs comme Abdoul Niang et sa plateforme niangtv; l’activiste Ben Le cerveau (avant qu’il ne tombe en disgrâce) ou le farfelu Boubou Mabel Diawara, sont entre autres éléments d’influence russe au Mali, identifiés dans plusieurs fiches confidentiels des services de renseignements étrangers, consultés par le site l’Enquêteur Déterminé. Sur le Burkina Faso, des sites comme Faso7, les individus Abou Zouré, qui vit à Ouagadougou, et Ibrahim Maïga, citoyen Burkinabé résidant aux États-Unis, sont répertoriés comme des outils de relais de la propagande pro-junte et soutiens de la Russie. Le neveu de Maïga, Zakariaou Boureima Maïga, a obtenu un marché de fourniture de 30 pick-up pour au ministère burkinabé de la Défense, pour un montant de plus de 800 millions de FCFA, dans des conditions jugées opaques. Dans les milieux introduits, on estime que ce marché cache une rétribution de l’activiste grassement rémunéré par le régime burkinabé.
D’autres méga-célébrités francophones des réseaux sociaux apparaissent dans nombre de « bulletins de renseignements » que nous avons pu consulter. Il s’agit de Kémi Séba, Nathalie Yamb, Franklin Nyamsi ou encore Alain Foka. La structure du journaliste camerounais -AFO média- est clairement désignée comme un des organes ayant reçu des financements occultes de la Russie, alors que plusieurs Bulletins de Renseignements Quotidiens, les fameux BRQ auxquels nous avons pu avoir accès, présentent Yamb, Séba et Nyamsi comme des «soldats du net grassement rémunérés» par Moscou.
En 2023, la justice suisse avait fermé les comptes de Nathalie Yamb, citoyenne de ce pays européen. Il lui était reproché des versements de gros montants en espèces ou encore la réception de virements en provenance d’organisations russes dont elle n’a pas pu fournir de motifs valables de transferts de telles sommes dans son compte. Pour les mêmes raisons de «Blanchiments de capitaux…», la justice française, cette fois-ci, a fermé les comptes bancaires de Kémi Séba et Franklin Nyamsi. La prestation rémunérée pour le compte de la Russie a donc été établie -de façon irréfutable- pour ces activistes.
Wagner, une machine à pomper du fric
Le modèle économique de Wagner le fait apparaître en réalité comme une sorte d’organisation tentaculaire qui prend parfois des allures d’une franchise. Il arrive aussi que la nébuleuse opère à travers un réseau complexe de sociétés écrans. Selon plusieurs notes des Renseignements confirmées par nos sources, en Centrafrique, par exemple, l’entreprise russe qui est en charge de la protection des autorités c’est officiellement Sewa Sécurity Services (SSS), alors qu’il s’agit effectivement de Wagner. Au Mali, c’est officiellement avec Prime Security que la junte a signé un accord, même s’il s’agit en réalité de Wagner, l’information de la présence des mercenaires russes ayant été confirmée publiquement par Prigogine lui-même, dans une vidéo, quelques jours avant sa disparition. Cette stratégie de la dissimulation a permis aux autorités maliennes de continuer à nier la présence de Wagner sur son sol. Sémantiquement, cela est vrai, puisqu’elle n’y était pas…officiellement. Mais sur le plan opérationnel, comme cela a déjà été prouvé, ce sont les hommes de Wagner qui se cachent derrière Prime Security. Ils y opèrent avec des tenues bardées des identifiants et insignes de Wagner. Et les mercenaires russes communiquent sur leur quotidien au Mali sur les différentes plateformes numériques de Wagner, notamment à travers des chaînes et comptes Telegram.
La présence des mercenaires n’est qu’un des aspects de la guerre d’influence de Moscou à travers Wagner. L’un des volets les plus importants est celui de la guerre de l’information. Wagner est en réalité enregistrée officiellement sous le nom commercial de Concord Management.
Le financement des activités de Wagner, notamment en Afrique, se révèle souvent trop onéreux pour les finances publiques et l’organisation créée par Prigojine est souvent invitée à prélever sa quote-part sur la bête, si ce n’est pas elle-même qui propose de se rémunérer en se servant directement sur les ressources naturelles du pays d’accueil. En République Centrafricaine, quelques mines sont directement exploitées par des entreprises par des émanations locales des sociétés écrans de Wagner, dont certaines ont été enregistrées à Madagascar. Plusieurs de nos sources ont cité des entreprises spécialisées dans l’extraction des ressources minières telles que Lobaye Invest, Midas Ressources ou encore Kraomita Malagasy. Meroe Gold est également une des entités de Wagner, dont les activités ont été répertoriées au Soudan, mais également en Centrafrique et au Mali. Selon des documents de plusieurs services de renseignements auxquels nous avons eu accès, dans ce pays d’Afrique Centrale des concession minières ont été octroyées aux sociétés écrans de Wagner : à Bria dans la préfecture de Haute-Kotto, ainsi qu’à Ouadda pour Lobaye Invest, alors que Midas Ressources s’est vu offrir des concessions minières à Ndassima.
Au Mali, on a constaté une augmentation exponentielle du budget de la présidence de République depuis 2021, année de l’arrivée de Wagner dans ce pays. L’explosion des dépenses de la présidence s’expliquait simplement par le fait que la milice russe était rémunérée à partir des comptes de la présidence. D’après nos sources, Bamako n’arrive plus à honorer les 10 milliards de FCFA mensuels pour les mercenaires russes et, au moins deux mines ont déjà été identifiées dans le sud du pays, notamment dans les régions de Sikasso et Kayes, pour permettre aux mercenaires russes d’autofinancer leur présence militaire à travers l’extraction de l’or.
L’offre de la Russie à travers Wagner semble convenir parfaitement aux néo-dictateurs civils, comme en Centrafrique, et militaires, comme dans le Sahel, que la Russie a aidé à accaparer le pouvoir, et/ou à le conserver. En effet, contrairement aux Occidentaux dont l’éveil de leurs opinions publiques et leur société civile obligent à se montrer regardant sur les questions de démocratie et des droits de l’Homme, Moscou ne fait jamais mention des questions de gouvernance ou des droits humains.
Au lendemain des Indépendances, ce sont les puissances occidentales qui faisaient et remettaient en cause les régimes en Afrique et ailleurs dans le tiers-monde, en fonction de leurs intérêts. Aujourd’hui, ce sont les Russes qui semblent avoir pris le relai. Assurant aujourd’hui la sécurité des régimes partout où Wagner s’est installée, les dirigeants de ces pays sont devenus des otages, qu’ils en soient ou non conscients, de Poutine. Désormais seul maître du jeu et en charge, directement ou indirectement de la sécurité des gouvernants des pays où la Russie a pris pied, le Kremlin est aujourd’hui en position de faire et de défaire les pouvoirs dans ces Etats, en fonction de ses intérêts.
Une étude d’avril 2024 du Centre d’Etudes Stratégiques de l’Afrique note que «les campagnes de désinformation visant à manipuler les systèmes d’information africains ont presque quadruplé depuis 2022, entraînant des conséquences déstabilisantes et antidémocratiques». Le même rapport constate que: «Les campagnes de désinformation ont été directement à l’origine de violences meurtrières, ont encouragé et validé des coups d’État militaires, ont réduit les membres de la société civile au silence et ont servi de paravent à la corruption et à l’exploitation». C’est dire la menace que représente aujourd’hui pour l’Afrique la Russie, dans sa visée colonialiste déguisée. Moscou est déterminée à déstabiliser tous les régimes qui ne lui sont pas favorables. Réussira-t-elle? C’est là toute la question.
Au-delà des discours souverainistes et ultra-nationalistes, le retour en force de la Russie dans les intrigues politiques en Afrique ne peut être interprété comme un signe de progrès, la Russie ne pouvant offrir à ses partenaires africains que son propre modèle : règne sans partage ; pouvoir clanique et liberticide ; confiscation des deniers publics par une oligarchie rattachée au pouvoir. Comme le disait une personnalité africaine des questions africaines avec laquelle je me suis entretenu dans le cadre de cette enquête : « parce que des dirigeants africains ont rusé et pris des libertés avec la démocratie, une proportion importante de la jeunesse des pays francophones se met à rêver d’un système différent. Or, ce système politique différent de la démocratie, c’est la dictature. Et ça, l’Afrique l’a déjà expérimenté, pour son plus grand malheur… ».
Ce qui est vrai, est vrai !