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    Niangon Bité Extension : une extorsion de 500 millions

    4000 personnes sont menacées de déguerpissement, par une société immobilière, de terrains qu’ils ont légalement acquis. Le syndicat des copropriétaires de Niangon Bité extension et la société immobilière Les Lauriers sont à couteaux tirés. Chacune des parties réclame la paternité d’une parcelle dans la commune de Yopougon. lenqueteurdetermine.net s’est intéressé à cette affaire à laquelle est également mêlée l’AGEF (Agence de Gestion Foncière) dont le DG est le premier dirigeant d’entreprises et structures publiques incarcéré dans le cadre de l’opération mains propres en cours.

    Les faits pour commencer.
    En 2002, les ayants droits de feu Kakré Nanguy Samuel cèdent des lots sur une parcelle de terre sise à Niangon Bité Extension à 4000 acquéreurs. Le cédant dispose, au moment de la transaction, de la lettre d’attribution N°2567 datée du 7 septembre 1992 et signée du ministre de l’Environnement, de la Construction et de l’Urbanisme d’alors, Ezan Akélé. Cette attribution est confirmée plus tard par un courrier du Directeur des Affaires Juridiques et du Contentieux du ministère de la Construction et de l’Urbanisme en date du 10 janvier 2006. D’ailleurs, un autre courrier du Directeur du Domaine Urbain daté du 18 janvier 2008 précise à la Direction des Affaires Juridiques et du Contentieux que Alloh Jacques et Kakré Nanguy Samuel sont attributaires respectifs de deux parcelles distinctes sises à Yopougon Niangon Bité. Rassurés par ces documents, les acquéreurs purgent les droits coutumiers et entreprennent les démarches pour sécuriser leurs parcelles en se dotant d’Attestations de Concession Définitives (ACD).
    Alors qu’émergent déjà sur le site des constructions à usage d’habitation et commercial, l’Agence de Gestion Foncière (AGEF) se présente en 2009 et réclame la propriété du site. S’engagent alors avec cette structure étatique des discussions au terme desquelles les acquéreurs consentent à racheter leurs propres lots au prix de 5.500 FCFA le mètre carré. Ils commencent aussitôt les paiements auprès de la Banque du Trésor et continuent les travaux d’aménagement du site.
    Contre toute attente, l’AGEF revient vers les acquéreurs et leur présente la Société civile immobilière Les Lauriers – en ce moment membre du Conseil d’Administration de l’AGEF – comme réservataire du site Niangon Bité Extension. Elle leur demande de s’adresser à cette société pour le rachat des lots qu’ils occupent.
    La même année, un protocole d’accord est trouvé qui stipule que tout détenteur d’un terrain sur le site litigieux s’engage à payer la somme de 5.120.000 FCFA pour un espace de 400 m² (contre 2.200.000 FCFA précédemment pour la même superficie), en plus d’un acompte d’un million de F CFA en guise d’apport initial. Un accord qui aura permis à la SCI Les Lauriers d’engranger environ 500 millions de F CFA. Le tout sans que la société Les Lauriers n’ait présenté aux acquéreurs de titre de propriété sur le site en question.
    En dépit du début d’exécution du protocole d’accord, certains acquéreurs ont vu leurs biens détruits par la société Les Lauriers. Notamment Abbas Diago Koné et Ismaël Diago dont les résidences avaient atteint le pignon et Mamadou Camara et Drissa Camara dont la grande clôture a été détruite. Saisi par les ayants droits de feu Kakré Nanguy Samuel avec l’appui des copropriétaires, le Directeur des Affaires Juridiques et du Contentieux du ministère de la Construction a invité la société Les Lauriers par courrier en date du 25 septembre 2014 à surseoir à toute démolition et à prendre attache avec ses services pour examiner la situation.
    Dans le même temps, une enquête foncière diligentée par la Direction de la Topographie et de la Cartographie du même ministère révélait que la société Les Lauriers avait excédé les limites de la parcelle qu’elle revendiquait. Se sentant abusés par Les Lauriers, les copropriétaires ont cessé les paiements après avoir tenté d’échanger avec les responsables de cette entreprise.

    Délivrance des titres de propriété
    Sur la base des résultats de l’enquête foncière sus-citée et tenant compte de la mise en valeur totale du site, le ministère de la Construction, du Logement, de l’Assainissement et de l’Urbanisme a établi l’Arrêté N°15-0284 du 15 septembre 2015 portant appropriation du plan de redressement du lotissement dénommé Niangon Bité Extension.
    Et c’est sur la base de cet Arrêté que les copropriétaires ont pu obtenir plusieurs documents administratifs : plus de 60 ACD, 40 Titres fonciers et 35 Attestations domaniales. Problème : depuis 2017, plus de 100 dossiers de demande d’ACD sur le lotissement Niangon Bité Extension déjà traitées et transmises par le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme au Cadastre et à la Conservation foncière de Yopougon sont bloquées sans motifs. Une situation qui appelle au moins cette interrogation : que s’est-il passé pour que ces ACD soient bloqués au cadastre et à la conservation foncière alors qu’ils ont été traités par la tutelle ?
    lenqueteurdetermine.net a cherché à connaître les raisons de ces blocages. Nous nous sommes rendus au service de conservation de la propriété foncière et des hypothèques de Yopougon II. La démarche a été difficile puisque personne n’a été en mesure de nous éclairer sur cette question en l’absence de la Directrice, partie d’abord en séminaire à Yamoussoukro puis en congés dès son retour. Nos différentes allées et venues n’y changeront rien.
    Pourtant, c’est bien au service de la conservation de la propriété foncière et des hypothèques que se trouve le problème.
    En fait, la société Les Lauriers réclame la propriété du site en brandissant deux Certificats de propriété d’avril et septembre 2010 et deux ACD de décembre 2015 portant sur un terrain formant le lotissement Niangon Sud Azito inscrit sous le Titre foncier de morcellement TF 88544 alors que les ACD et autres actes délivrés aux copropriétaires portent sur le lotissement Niangon Bité Extension.
    Pour vérifier toutes ces données, lenqueteurdetermine.net a consulté la « Liste complète des lotissements approuvés, annulés et en sursis de 1960 à 2020 » publiée par le ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme. Et, surprise, si le lotissement Niangon Bité Extension y figure bien (page 37 ligne 6), le lotissement Niangon Sud Azito – morcelé en un seul îlot, ilot 92, d’une surface totale de 25 hectares – est introuvable.
    Nous avons retrouvé au cours de notre investigation, le procès-verbal de compulsoire au terme duquel Me Gouédan Faustin Séraphin, Commissaire de justice près le Tribunal de première instance de Yopougon après des recherches au ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme a conclu à l’inexistence, en tous cas dans les archives dudit département ministériel, du lotissement Niangon Sud Azito.
    Approchés pour savoir comment ils ont pu obtenir des Titres fonciers et des ACD sur un lotissement sinon inexistant du moins pas encore approuvé, les responsables de la société Les Lauriers n’ont pas souhaité répondre à nos questions. Le Directeur commercial Ignace Assalé que nous avons joint au téléphone nous a indiqué être en congés et dans l’impossibilité d’aborder la question avec nous. Une autre tentative d’échanger avec lui ce vendredi 8 octobre 2021, s’est soldée par une fin de non-recevoir.
    Comment la société Les Lauriers a-t-elle pu obtenir des titres fonciers et des ACD sur un lotissement inexistant ? A quel niveau de la chaîne foncière cette prouesse a-t-elle pu être opérée ? Bien malin qui pourra le dire.
    Au ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme où nous nous sommes rendus pour comprendre cette affaire, nous nous sommes également heurtés à un mur de silence. Ni la Direction de l’Urbanisme, ni la Direction du Domain Urbain n’ont accepté de nous recevoir, malgré l’appui du Service de Communication.

    Niangon Bité Extension figure dans les fichiers du ministère de la Construction.

    Les tribunaux pour trancher
    L’affaire a été portée d’abord devant le Tribunal de première instance de Yopougon le 27 novembre 2018 qui s’est déclaré incompétent, renvoyant les parties devant Tribunal de commerce.
    Devant cette juridiction et en analysant les titres de propriété présentés aussi bien par la société Les Lauriers que par les copropriétaires, le tribunal a ordonné par jugement avant dire droit une expertise pour identifier clairement l’objet du litige, notamment « sa localisation et le lotissement dont elle est issue, sa contenance, son niveau de mise en valeur, l’identification des auteurs de la mise en valeur et le fonctionnement de leurs droits et dire si les constructions dont la démolition est sollicitée ont été érigées sur le site revendiqué par la société Les Lauriers ».
    Dans son jugement rendu le 19 novembre 2020, le Tribunal ordonnait le déguerpissement des copropriétaires en précisant que « l’expert désigné n’a pas daigné produire son rapport d’expertise au motif que l’expert géomètre a refusé de mettre à disposition son rapport ». Interrogé, l’expert géomètre Soro Nanga Didier a expliqué que dès la fin des relevés topographiques qu’il a fait exécuter par un de ses collaborateurs, l’expert immobilier Bamba Moussa a demandé que ses notes lui soient transmises pour la rédaction du rapport, ce qu’il a fait. « Je ne comprends pas qu’après il vienne m’accuser de n’avoir pas transmis les éléments », s’est-il défendu. Directement mis en cause dans cet aspect du litige, Bamba Moussa n’a pas répondu à nos sollicitations.
    Cette décision du Tribunal de commerce, il faut en convenir, n’a tenu compte que des ACD relatifs au lotissement Niangon sud Azito versés par la société immobilière Les Lauriers tandis que les pièces des assignées (attestations villageoises, attestations domaniales, reçus de dépôt de demande d’ACD et ACD) relatifs à leurs lots sur le lotissement Niangon Bité Extension (approuvé par arrêté n°15-0284 du 15/10/2015) n’ont pas été prises en compte. Pourquoi ?
    Les copropriétaires ont donc fait appel de cette décision et une nouvelle expertise a été ordonnée par la Cour d’appel de commerce. Depuis le 28 septembre 2021, Kpolo Djédjé Daniel, l’expert immobilier et Kotokou Urbain, l’expert géomètre sont sur le terrain pour donner au tribunal des éléments probants qui guideront sa décision.
    Au regard de ce qui précède, on peut à tout le moins faire quelques constats : la société immobilière Les Lauriers semble avoir abusé, avec la complicité de l’AGEF, des 4000 acquéreurs obligés d’acheter à nouveau des terrains déjà acquis auprès des propriétaires coutumiers. Par ailleurs on peut noter la confusion entre le bien foncier attribué à l’entreprise et celui sur lequel elle voudrait exproprier les 4000 acquéreurs. Sauf si l’affaire trahissait des dysfonctionnements, voire une opération d’escroquerie savamment montée par l’AGEF et Les Lauriers, avec la complicité de quelques individus au ministère de la Construction où, curieusement, personne n’a voulu répondre à nos questions.

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