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    AccueilEnquêtesTidjane Thiam| Son « oui » à Guéï et ses démêlés judiciaires en Occident.

    Tidjane Thiam| Son « oui » à Guéï et ses démêlés judiciaires en Occident.

    Alors que le neveu du père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire brigue la présidence du PDCI, deux affaires ressurgissent, qui pourraient ternir quelque peu son image d’homme honnête et compétent : son accord pour travailler avec la junte du général Guéï et sa gestion de Crédit Suisse dont il est accusé d’avoir contribué à la faillite, et poursuivi en justice.

    L’enregistrement effectué par les services de renseignements que nous avons pu écouter ne dure pas plus de six minutes. Selon nos sources, ni le mandataire du général Guéï, ni Tidjane Thiam, ne soupçonnaient que leur entretien téléphonique était écouté par les « grandes oreilles de l’Etat ». La conversation s’est déroulée quelques jours après le putsch du général Guéï, alors qu’un sommet de la CEDEAO tenu à Bamako venait de reconnaître les nouvelles autorités et entériner l’idée d’une transition de douze mois, maximum. Dans cet audio, on distingue clairement la voix d’une haute personnalité ivoirienne très connue et celle de Tidjane Thiam. Celui qui a le ministre d’Henri Konan Bédié au bout du fil le tutoie et lui sert du « petit frère ». Après lui avoir très brièvement rappelé « ce qui s’est passé ici » (allusion au coup d’Etat qui venait de renverser le président Bédié), il rassure Tidjane Thiam qu’il n’a rien à craindre en retournant à Abidjan. Poursuivant dans un style direct, il ajoute : « Nous sommes en train de former le gouvernement et nous avons un poste pour toi ». S’en suit un court silence pendant lequel on imagine Tidjane Thiam en train de réfléchir.  

    T. Thiam veut plutôt le poste de DG du port

    Le silence qui suit la proposition du mandataire du chef de la junte dure à peine 25 secondes et il répond qu’il ne pense pas qu’il soit souhaitable pour lui d’entrer tout de suite dans le gouvernement. Mais, poursuit Tidjane Thiam, « je serais par contre intéressé par le poste de DG du port d’Abidjan où je pense pouvoir être très utile ». Visiblement intrigué par une telle demande, l’interlocuteur du neveu d’Houphouët Boigny, qui pense n’avoir pas bien entendu, demande à nouveau à M. Thiam : « pardon ? ». T. Thiam revient sur sa demande. Il est plus intéressé par la Direction Générale du Port Autonome d’Abidjan. Selon plusieurs sources proches du général Guéï, qui ont authentifié l’entretien que le site l’Enquêteur Déterminé a pu écouter, le chef de la junte avait déjà promis le poste de DG du port d’Abidjan à Koné Mamadou, « qui s’était souvent montré généreux à son égard pendant la traversée du désert » du nouvel homme fort du pays.

    De cet échange avec le diplômé de la prestigieuse école française Polytechnique, les dignitaires de la transition ivoirienne concluent que Tidjane Thiam nourrit plus un projet d’enrichissement personnel qu’autre chose, car il faut dire qu’à cette époque, le Port Autonome d’Abidjan brassait beaucoup d’argent, souvent géré dans une totale opacité, permettant à ses différents directeurs d’accumuler une importante fortune en un laps de temps.

    C’est finalement le frère aîné de Tidjane Thiam qui procurera à la junte du général Guéï l’espèce de caution de la famille Houphouët qu’elle convoitait. Daouda Thiam sera ainsi nommé ministre des Mines et de l’Energie.

    La rumeur, qui voudrait que Tidjane Thiam ait refusé de collaborer avec la junte du général Guéï, relève donc d’un mythe.

    Départ forcé de Crédit Suisse.

    C’est au Movenpick Hotel, situé au 25 Aeschengraben, en plein centre de la ville de Bâle en Suisse, que le haut cadre de ce qui est aujourd’hui l’ex-Crédit Suisse m’a donné rendez-vous. Il choisit un coin discret dans le bar de l’établissement, le MP’s Bistro and Bar. Tout au long de notre conversation, mon interlocuteur ne cesse de jeter des regards autour de nous, pour s’assurer que personne ne s’intéresse à notre table. A croire que, des années après, l’homme reste convaincu que Tidjane Thiam a toujours la capacité de faire suivre et espionner des gens.

    Le haut cadre de banque nous raconte ensuite dans les détails l’affaire dite d’espionnage au Crédit Suisse, alors que Tidjane Thiam dirigeait la banque. En septembre 2019, des témoins médusés assistent à une course-poursuite surréaliste dans les rues de Zurich. Il s’agit d’Iqbal Khan, ancien patron du département Gestion de fortunes de Crédit Suisse, qui essaie d’échapper à une filature qui dure depuis plusieurs jours. Après enquête, l’on découvrira qu’outre d’avoir espionné cet ex-collaborateur passé chez le concurrent, UBS, Crédit Suisse avait fait espionner plusieurs de ses employés et même des structures sans aucun rapport direct avec la banque, à l’instar de l’organisation écologique Greenpeace. 

    L’autorité de surveillance des marchés en Suisse, la FINMA, estimera, à l’issue d’une enquête, que « la manière dont la banque a planifié et procédé à ces filatures montre d’importantes lacunes dans sa gouvernance ». Le gendarme de la finance notera, dans un communiqué, que dans la plupart des cas « les décisions de filatures étaient prises de manière informelle et sans justification valable ». Elle relèvera aussi que « ces activités ou les raisons qui les motivaient ont été dissimulées », la banque ayant eu « recours à des fournisseurs tiers ou des factures rudimentaires ont été émises et payées pour les coûts engendrés.» Pire, « dans un cas, une facture a été modifiée ultérieurement pour dissimuler les frais d’une filature ». Cela s’appelle du faux en écriture susceptible de poursuites pénales.

    Flagrant délit de mensonge

    Au cours de son enquête sur le scandale d’espionnage qui a fini par emporter Tidjane Thiam, poussé à la démission, Crédit Suisse a été prise en flagrant délit de mensonge. « Des déclarations de la banque, publiques ou à l’intention de la FINMA, se sont parfois révélées incomplètes ou fausses par la suite », peut-on lire dans la déclaration du régulateur du secteur de la finance suisse.  

    Communiqué du régulateur de la Finance suisse (FINMA)

    J’ai demandé à l’ex-collaborateur de Tidjane Thiam au Crédit Suisse ce qu’il pensait de la possibilité que celui-ci puisse devenir président en Côte d’Ivoire. Après un temps de réflexion, le banquier, qui a commencé par insister sur son anonymat, s’est montré particulièrement alarmiste et inquiet pour les Ivoiriens :  “Un patron d’entreprise qui fait espionner des collaborateurs qu’il soupçonne, s’il devenait chef d’État d’une république du tiers-monde -avec les pouvoirs que les dirigeants ont dans ces Etats- il monterait d’un grade. Il serait capable de commanditer des assassinats de ses opposants et adversaires politiques”.

    Les capacités managériales de T. Thiam mises en cause

    Selon un ex-haut cadre de Crédit Suisse qui a travaillé au siège de la banque à Zurich -au sein de l’équipe dirigeante avec Tidjane Thiam- que nous avons rencontré à Genève, ce dernier « avait plus des réactions de trader que celles d’un banquier de formation. Le trader prend des risques, parfois inconsidérés; le banquier est d’une extrême prudence”.

    Certains placements, sur des produits financiers et des investissements sous la gouvernance de Tidjane Thiam ont pu contribuer à la faillite de la banque suisse. C’est du moins ce que soutient un groupe de gros capitaux et clients de la banque, qui a lancé une plainte collective, Class action complaint en anglais, contre le Franco-Ivoirien et d’autres ex-dirigeants de Crédit Suisse.

    D’entrée, la plainte plante le décor : « Les accusés sont directement responsables, vis-à-vis des plaignants et des autres membres de l’action collective, ainsi que des détenteurs d’obligations AT1, des milliards de dollars de dommages causés par la violation, par les accusés, de leurs obligations professionnelles ».

    Les plaignants accusent les dirigeants de Crédit Suisse incriminés, dont Tidjane Thiam, « d’imprudentes prises de risques pour leurs gains personnels ». Les grands patrons de la banque perçoivent en effet des bonus et ristournes sur certains placements, et ce, bien même avant que la profitabilité de ceux-ci ait été confirmée. Une pratique généralement dénoncée comme encourageant des dirigeants d’établissements financiers peu vertueux et uniquement intéressés par leurs intérêts personnels, à prendre des risques inconsidérés avec les fonds mis à leur disposition par les clients.

    Extraits de la plainte contre T.Thiam aux USA
    Extraits de la plainte contre T.Thiam aux USA

    Dans la plainte de 72 pages déposée au District Court Eastern District du tribunal de New York, dont le site l’Enquêteur Déterminé a pu obtenir une copie, les accusateurs illustrent leur propos en revenant sur un audit commandé par la banque suisse elle-même, en 2021. Le cabinet d’avocats d’affaires Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison LLP, relevait, au sein de la haute direction de Crédit Suisse, « une culture dans laquelle les profits avaient la priorité sur une saine gestion des risques ».

    Cette « culture toxique de Crédit Suisse, poursuit la plainte, a créé – et même encouragé – une myriade de scandales qui ont finalement conduit à la conclusion inévitable et accablante, en mars 2023, que la banque était fatalement confrontée à l’incompétence ainsi qu’à la fraude, de même qu’au constat que la haute direction était incapable ou peu disposée à réformer le socle corrompu » du Crédit Suisse.

    Le passage à Crédit Suisse, un échec pour T. Thiam ?

    La section de la plainte qui mentionne la responsabilité du Franco-Ivoirien a pour titre : « Thiam échoue à redresser le navire ». Sur Tidjane Thiam, les ex-clients qui poursuivent différents dirigeants de Crédit Suisse commencent par rappeler qu’il « était étranger au microcosme international de la Banque, ce qui lui conférait des avantages au départ, mais qui a aussi conduit à son éviction cinq ans plus tard ». Ces gros clients de la banque suisse listent ensuite de façon précise différents dossiers ayant contribué à la faillite de Crédit Suisse, dans lesquels ils pointent la responsabilité directe de Tidjane Thiam. On y trouve, entre autres, le « scandale des bateaux » de pêche de Thon, connu comme l’affaire des “prêts au Mozambique“.

    Extraits de la plainte contre T.Thiam aux USA

    Démarré en 2012, avant l’arrivée de Tidjane Thiam à la direction de la banque, ce scandale, décrit par les plaignants comme des « séries de transactions mafieuses et illégales » s’est poursuivi jusqu’en 2016, autrement dit pendant que l’Ivoiro-Français dirigeait le mastodonte financier.

    Dans cette affaire, relève la plainte, afin d’éviter un procès encore plus dommageable, Crédit Suisse « a perdu 547 millions de dollars, versés comme pénalités » pour manquements aux règles et lois sur le crédit. L’établissement financier, peut-on encore lire dans la plainte, « a réuni 850 millions de dollars de prêts accordés en violation des règles et procédures de Crédit Suisse sur les prêts, pour l’achat de bateaux pour l’industrie de la pêche au Mozambique ». Toujours selon le document déposé auprès de la justice américaine, dont le site l’Enquêteur Déterminé a pu obtenir copie, « des audits ont révélé qu’au moins 500 millions de dollars de ce prêt avaient été détournés ».

    La plainte affirme par ailleurs que « Thiam a commis deux erreurs de jugement très importantes qui ont conduit à d’énormes dégâts après son départ de la Banque ». Elle pointe du doigt le mauvais casting de Tidjane Thiam et son équipe de direction dans le recrutement, notamment des agents en charge de la gestion des risques : « Ils ont nommé des cadres inexpérimentés qui n’avaient ni le parcours, ni le tempérament » nécessaires. Plus loin, M. Thiam et son équipe se voient reprochés d’une énorme faute structurelle, pour avoir « apporté des changements de fond qui ont affaibli les fonctions de gestion des risques et de conformité, dans le cadre de leur stratégie agressive de réduction des charges », favorisant ainsi la faillite de la banque survenue en 2023, trois ans après le départ du Franco-Ivoirien.

    A l’issue de la procédure en instruction devant les juridictions américaines, Tidjane Thiam et les autres co-accusés ne risquent pas la prison puisqu’il s’agit d’une affaire au civil. S’ils sont reconnus coupables, ils pourraient être condamnés à de très lourdes amendes pouvant aller jusqu’à plusieurs milliards de dollars, si on en juge par le montant du préjudice subi déclaré chiffré à des milliards de dollars.

    Rappelons que Tidjane Thiam a pris fonction comme Directeur Général de Crédit Suisse le 1er juillet 2015, auréolé d’une bonne réputation, après avoir connu une riche carrière à la tête de Prudential, le géant britannique de l’assurance. Tidjane Thiam a quitté Crédit Suisse sur la pointe des pieds, le 14 février 2020, quelque peu couvert d’opprobre, et éclaboussé par l’affaire d’espionnage.

    Extraits de la plainte contre T.Thiam aux USA
    Extraits de la plainte contre T.Thiam aux USA

    Crédit Suisse pesait 1200 milliards d’Euros d’actifs (plus de 787 000 milliards de FCFA) avant de faire faillite. Elle a été rachetée pour la modique somme de 3,04 milliards d’euros (1990 milliards FCFA) par sa principale rivale helvétique, UBS.

    Tous nos efforts pour faire réagir Tidjane Thiam sont restés vains.

    Ce qui est vrai, est vrai !

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