Contractée comme sous-traitant par une entreprise ivoirienne, la compagnie égyptienne Sea Horse Oilfield Services LLC s’est révélée d’une incroyable malhonnêteté, profitant notamment de l’amateurisme de son partenaire ivoirien et de l’inexplicable passivité de PETROCI. Dans cette affaire de réparation d’une fuite sur un de ses gazoducs, la société pétrolière publique -PETROCI- s’est retrouvée dans un engrenage financier qui lui fera perdre plus du double du montant initial, pour des travaux jamais livrés.
Au départ, l’affaire semblait pourtant simple. Une réparation, en haute mer, de fuites sur un conduit qui permet de transporter du gaz du gisement satellite, Panthère C, vers la plateforme principale de stockage, Gulftide. L’opération nécessite une bonne maîtrise de l’ingénierie marine et sous-marine, mais elle relève presque de la banalité dans ce milieu, où ce genre d’intervention, on en réalise plusieurs centaines annuellement partout dans le monde.
ITTM, un choix qui interroge
Selon des responsables de PETROCI qui ont accepté de nous parler, c’est à la suite d’un appel d’offre que le contrat pour ces travaux a été confié à l’entreprise IVOIRIENNE DES TRAVAUX TERRESTRES & MARITIMES (ITTM), au nom de la préférence nationale désignée dans le milieu sous le jargon anglophone local content, autrement dit, « contenu local ».
A l’analyse, le rôle d’ITTM semble s’être limité à obtenir le marché, trouver un sous-traitant et veiller à la bonne exécution du marché par ce dernier. Plusieurs sources dans le domaine ont confirmé au site l’Enquêteur Déterminé que la pratique est courante dans ce secteur des travaux marins et sous-marins qui nécessite un haut niveau d’expertise et des moyens logistiques localement inexistant.
Le 26 août 2022, l’entente est formalisée entre ITTM et PETROCI CI-11, un consortium détenu à 68% par l’Etat, deux entreprises privées ivoiriennes se partageant les 32% restants. Montant du contrat : 15.575.000 US$ pour une durée d’exécution de 107 jours. Fin décembre 2022 est choisie comme date de fin des travaux. Dans les documents officiels d’ITTM que nous avons pu consulter, c’est YAO Loukou Jonas qui en est le gérant, mais c’est visiblement M. Koamé KOIDJOS qui en est le vrai patron, puisque c’est lui qui a signé tous les contrats et factures.
Sur la base des documents en notre possession, le 22 août 2022, soit deux jours avant la signature du contrat, ITTM émet une facture (avance de démarrage) de 5.094.894.000 FCFA, représentant les 50% du montant total du marché. Par ordre (Réf :SK/DFC/LT/0210-2022), madame Sylvie KODJA demande à la Banque Atlantique Côte d’Ivoire de virer, depuis le compte de PETROCI CI-11, le montant en question sur le compte N°012XXXXXXX006 au nom de ITTM domicilié à Versus Bank. Nous avons pu obtenir les preuves de tous les autres virements qui prouvent que PETROCI CI-11 a respecté tous ses engagements financiers vis-à-vis de ITTM.
Moins de deux semaines après, le 7 septembre 2022, ITTM contracte l’entreprise égyptienne Sea Horse Oilfield Services LLT, pour l’exécution des travaux à elle confiés par PETROCI CI-11. Pour 10 millions de dollars américains, la compagnie égyptienne s’engage à livrer le chantier après réparation de la fuite de gaz dans un délai de 26 jours, « dans les meilleures conditions de travail », autrement dit, si la météo est favorable. ITTM réalise à ce moment un bénéfice de 5.575.000 $ (3.331.520.765 FCFA) sur le marché, mais l’entreprise n’a visiblement pas une grande expérience de ce genre de contrat, ou elle ne s’est pas entourée d’avocats d’affaires compétents. En effet ITTM ne s’attarde guère sur cette clause pourtant fondamentale en lien avec d’éventuelles intempéries, tout comme elle ne remarquera pas le piège que peut comporter un « contrat à taux journalier ». Dans ce type de convention, le sous-traitant égyptien peut exiger d’être payé pour le nombre de jours passés sur le chantier, si les travaux devaient déborder sur les 26 jours contractuels, pour raison de météo défavorable ou pour d’autres raisons.
Les retards s’accumulent
Dès le départ, Sea Horse Oilfield accuse du retard, notamment consécutif à l’arrivée tardive de la barge sur laquelle les équipes effectuent les travaux. Mais d’autres retards seront constatés, que l’entreprise égyptienne expliquera tantôt par des conditions météorologiques d’une mer déchaînée, tantôt par des problèmes de roulement des équipes de techniciens, presque tous étrangers. Entre temps, après s’être fait payer les 10 millions de dollars, sans avoir finalisé les travaux, le patron de Sea Horse Oilfield Services LLC, Mohamed Elsayed Mohamed Ibrahim BADEA, réclame toujours plus d’argent, au point d’arrêter le chantier. Sur la base des documents en notre possession, entre le 10 septembre 2022 et le 17 mai 2023, le sous-traitant égyptien émettra en direction d’ITTM douze factures d’un montant total de 30.819.141 $, pour un contrat conclu pour la somme de 10 millions $. Il faut préciser à ce niveau que le contrat, dont nous avons pu obtenir copie, précisait que ce montant était « à titre indicatif » sans pour autant clarifier totalement les conditions dans lesquels il serait extensible.
Une rallonge financière qui intrigue
Selon nos sources, après avoir émis plusieurs factures demeurées impayées, le patron de Sea Horse Oilfield informe celui d’ITTM qu’il ne reprendra le travail que s’il reçoit la totalité des sommes exigées. Face à ce blocage, l’entreprise ivoirienne sollicite la médiation de l’ambassade d’Egypte en Côte d’Ivoire. La mission diplomatique ne parviendra pas à trouver une solution au différend. C’est alors que ITTM informe PETROCI CI-11 de la situation de blocage et sollicite une rallonge budgétaire. Extraordinairement, l’entité à capitaux publics que gère madame Sylvie KODJA, épouse du très célèbre pasteur Guy Vincent KODJA, accède à cette demande pour le moins inaccoutumée. Le 28 mars 2023, ITTM adresse à PETROCI CI-11 une facture supplémentaire de 7.966.380 $. J’ai demandé à plusieurs sources internes à PETROCI comment l’entreprise pouvait payer aussi facilement, en supplément, environ 5 milliards FCFA, à une entreprise dont la preuve avait été faite qu’elle n’a pas respecté son contrat à son égard ? « Lorsqu’on a touché au départ des rétrocommissions d’un prestataire, on se sent obligé de le protéger jusqu’au bout. Et c’était visiblement le cas dans ce marché », nous a révélé une source crédible au sein de la compagnie pétrolière. Le site l’Enquêteur Déterminé a, en vain, tenté d’obtenir des réponses des principaux acteurs, sur cette situation pour le moins ubuesque, mais nous nous sommes butés sur un mur…de silence. Madame Sylvie KODJA de PETROCI CI-11, tout comme M. Koamé KOIDJOS n’ont pas voulu répondre à nos questions spécifiques, depuis plusieurs mois.
Nonobstant le paiement en entier des milliards FCFA supplémentaires, le chantier est à nouveau arrêté, toujours au motif que l’entreprise égyptienne réclame plus d’argent. Cette fois-ci, PETROCI CI-11 décide de traiter directement avec le sous-traitant, dans le but « de trouver une solution définitive pour la poursuite et l’achèvement de ses travaux », comme le précise ce nouveau contrat dont nous avons pu obtenir copie. Grâce à l’entrée en scène d’un cabinet d’avocats mandaté par Sea Horse, une convention qui lie cette fois-ci directement PETROCI CI-11 à SEA HORSE Oilfield est conclu en mai 2023 pour 5 millions de dollars, et un délai d’exécution de vingt jours. Dans la foulée, deux avances sont faites par virements (500.000 $ et 1.500.000 $) au profit de Sea Horse Oilfied.
Un nouvel incident finira de convaincre les dirigeants de PETROCI CI-11 de la mauvaise foi de l’entreprise égyptienne. En effet, le 1er juillet 2023, PETROCI CI-11 apprend que le propriétaire de la plateforme avec laquelle les travaux s’effectuent, est sur le point de la démobiliser. On découvre à ce moment que SEA HORSE lui devait 5 millions US dollars qu’il n’espérait plus recevoir. Une entente est trouvée, par l’entremise de PETROCI CI-11. La barge va rester pour permettre la poursuite et l’achèvement des travaux. En retour, Sea Horse accepte de faire un virement de 1.365.000 $ alors que PETROCI CI-11 s’engage à émettre au propriétaire de la barge, une garantie bancaire de $2,2 millions, somme qu’elle payerait à ce dernier sur les 3 millions $ dus à Sea Horse à l’issue des travaux.
Contre toute attente, le propriétaire de la barge informe PETROCI CI-11 que le paiement de 1.365.000 $ attendu de Sea Horse n’est toujours pas effectif. Or, l’entreprise égyptienne avait fait croire à PETROCI CI-11 que c’était fait. Devant tant de roublardise, la partie ivoirienne rompt le contrat avec Sea Horse, qui aura réussi à rapatrier tous les paiements indument perçus en Côte d’Ivoire dans son compte 015XXXXXXXXXX-32, domicilié à la Qatar National Bank Alhali (QNB), comme nous l’avons découvert lors de cette investigation. Quant au patron et gérant, MohamedElsayed Mohamed Ibrahim BADEA, il a réussi à quitter le pays sans être inquiété par PETROCI. Ses avocats, envers qui il n’a pas honoré ses engagements financiers, ont tenté de faire émettre contre lui une decision d’interdiction de quitter le territoire, mais nous avons appris qu’ils n’ont pas pu obtenir la mesure à temps.
Après la publication de notre video annonçant cette enquête, monsieur Mohamed BADEA nous a contacté et exprimé sa disponibilité de nous donner sa version et a même indiqué qu’il apportera les preuves de ses affirmations. Dans une courte réponse par WhatsApp aux nombreuses questions que nous lui avons adressées, Mohamed BADEA indique être parti de la Côte d’Ivoire le 15 août 2023 par l’aéroport d’Abidjan et dit n’avoir pas fui le pays. par WhatsApp: “Je n’ai pas fui, et il n’y a absolument aucune raison pour moi d’éviter quoi que ce soit” nous a écrit l’Egyptien qui se présente plutôt comme la victime. “La somme que vosstructures officielles et non officielles doivent à mon entreprise ne nous appartient pas. Cela a eu un impact financier significatif, nous laissant endettés envers de nombreux fournisseurs et sous-traitants” a encore déclaré notre interlocuteur, qui ne répond pas sur les nombreux cas où il a été pris en flagrant délit de mensonge et de tromperie.
Selon nos informations, PETROCI CI-11 a contracté une nouvelle entreprise pour effectuer à nouveau les travaux. La direction a informé les autres membres du Consortium, CIPEM (27%) et HYDRODRILL (5%), qu’elle a conclu avec la compagnie nigériane HYDRODRIVE pour un montant de 9 millions $ ( 5.380.000.000 FCFA) pour réparer la fuite de gaz du puit Panthère C.
Ainsi donc, 18 milliards de FCFA auront été dépensés et il faudra encore en ajoute cinq autres milliards, dans cette affaire à forte odeur de corruption et de détournements de deniers publics. En effet, selon nos sources haut placées au sein de la compagnie pétrolière publique, la totalité des travaux a été financée sur un prêt. Et ce n’est pas le consortium qui s’est endetté auprès des banques locales, mais plutôt PETROCI Holding, détenue à 100% par l’Etat.
Ce qui est vrai, est vrai !