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    Côte d’Ivoire : Orange soupçonnée d’avoir assassiné un de ses employés.

    Tôt dans la matinée du 25 juin 2020, le corps sans vie de GODO KOBE Léopold Max est retrouvé dans son bureau. Entre enquête bâclée par les services de police, négligence de la justice et obstruction d’Orange à la manifestation de la vérité, cette affaire révèle surtout une certaine faiblesse de l’Etat face à une multinationale qui traite des institutions publiques avec beaucoup de condescendance.

    Lorsqu’il quitte son domicile ce 24 juin 2020 pour se rendre à son lieu de travail, GODO KOBE Léopold Max, 41 ans, ne s’imagine sûrement pas qu’il est ainsi en train d’effectuer son dernier trajet vers « immeuble Lumière » d’Orange Côte d’Ivoire, sis à Marcory Zone4, non loin de la CRS (Compagnie Républicaine de Sécurité).

    A la police, Tiétié Légré Auguste Eva épouse DOGO, expliquera le 26 juin 2020 que la dernière conversation avec son époux remonte à la veille de la découverte de son corps sans vie, vers 18h, lorsqu’il a appelé pour l’informer qu’il restait encore un peu au bureau travailler.  

    L’enquête de la police et l’instruction de la justice

    En fait d’enquête, le rapport transmis au juge illustre une investigation inique. En somme, il n’y a pas eu d’enquête, puisqu’on ne saurait considérer comme telle, un exercice qui s’est limité à constater le décès. « Nous avons effectivement trouvé le corps sans vie de GODO KOBE Léopold allongé sur le sol (…) Sa face contre le sol. De sa bouche avons vu s’écouler un sang coagulé. Son corps ne portait pas de trace de violence » écrit la Direction de la Police Judiciaire. Ce qui tient lieu d’enquête sera complété par l’interrogatoire de la veuve et ainsi que celui du Directeur des Ressources Humaines d’Orange Côte d’Ivoire, le sieur KOUASSI Datté. Aucun des deux n’était sur les lieux où l’Administrateur Base de données est supposé avoir trouvé la mort -c’est-à-dire dans son bureau- au moment où cela semble s’être produit. Comme on peut le constater dans le rapport d’enquête transmis au procureur de la république, dont nous avons pu obtenir copie, aucun collègue qui a travaillé avec GODO KOBE Léopold Max le jour où il a trouvé la mort ne sera interrogé. Avait-il eu une altercation avec quelqu’un ? S’est-il plaint de problèmes de santé ? Avait-il prévu de travailler tard ce jour là et pour quelle raison ? Quelqu’un pouvait-il lui en vouloir ? avec qui avait-il manger ce jour-là ? Aucune de ces questions d’usage n’a été posée à ceux qui pouvaient y apporter réponses par l’officier de police GOHI LOUKOU Jérôme qui a mené l’enquête.

    Mention de cloture

    La médecine légale ne fera pas mieux. Sans une quelconque investigation médicale approfondie et sans même connaître les antécédents médicaux du défunt, le médecin-légiste ATTOUNGBRE N’GUETTA Solange conclut que le décès de GODO KOBE Léopold Max « est une mort subite » et ce « en l’absence de toute trace de violence externe ». Un peu léger. Toujours est-il que la justice et l’employeur s’en contenteront. Pas d’autopsie. Et pourtant, comme nous l’a confirmé un autre médecin-légiste Ivoirien, « une mort provoquée ne laisse pas forcément des traces de violence physique et l’absence de celles-ci ne permet pas de conclure à une mort naturelle. Seule une autopsie peut apporter des réponses scientifiques ».  

    La légèreté avec laquelle la police, la médecine légale et Orange Côte d’Ivoire traiteront cette affaire vont fonder la conviction de la veuve et de la famille du défunt qu’on cherche à leur cacher quelque chose et nourrir leurs suspicions sur le fait que les causes du décès de l’ingénieur informaticien ne seraient pas naturelles.

    En effet, outre l’enquête bâclée par la police et les conclusions du médecin légiste qui ne se fondent sur aucune évidence scientifique, Orange semble dans cette affaire s’être plus préoccupée à dégager sa responsabilité éventuelle qu’à aider à rechercher les causes réelles du décès de son employé.

    Ces réactions d’Orange qui nourrissent la suspicion

    La multinationale n’a jamais effectué d’autopsie, alors même que toute entreprise sérieuse serait intéressée de savoir de quoi est décédé son employé, visiblement bien portant, sur son lieu de travail. Pire, répondant à une requête de la justice suite à une plainte déposée par la veuve qui souhaite qu’on l’aide à faire son deuil en menant une enquête sérieuse qui permettrait de déterminer sans le moindre doute les causes du décès de son époux, Orange Côte d’Ivoire refuse de mettre à la disposition des enquêteurs les images de la vidéo-surveillance qui auraient pourtant permis de disculper complètement l’entreprise.

    Ce refus sera légitimement interprété par la veuve comme la preuve de la culpabilité de l’employeur de son époux. Le service juridique justifiera son opposition à mettre les images à la disposition des enquêteurs par le « respect de la vie privée des agents ». Réponse curieuse, lorsqu’on sait qu’il s’agit d’un environnement professionnel où on a du mal à percevoir ce qui pourrait constituer une violation de la vie privée des agents. Les employés d’Orange s’embrassent-ils sur leur lieu de travail ? Font-ils l’amour dans le bureau ? Se baladent-ils nus dans les locaux ? La police ne demandera pas d’explication sur ce « respect de la vie privée des agents » invoqué par le service juridique d’Orange.   

    Les vidéos demandées étant fondamentales dans l’établissement des circonstances du décès, il est surprenant et incompréhensible que la police se soit contentée d’une réponse aussi laconique et peu convaincante d’Orange.

    L’hypothèse d’une mort de causes médicales

    Sur l’hypothèse d’une mort subite, comme l’indique le médecin légiste dans le Certificat de Genre de Mort, qui n’avait pas connaissance de la situation sanitaire du défunt, nous nous sommes procurés des bilans de santé de GODO KOBE Léopold Max. On découvre dans son rapport médical que « ce dernier vivait avec un diabète de type 2 putatif depuis 2010 ». D’après les spécialistes, cette forme de diabète peut causer de graves lésions, en particulier des nerfs et des vaisseaux sanguins. L’ingénieur en informatique était sous traitement strict à l’insuline .

    Certificat de genre de mort

    Fort de ces informations, nous avons interrogé trois diabétologues Ivoiriens de renom, à qui nous avons présenté le rapport médical établi par le médecin du défunt. Tous sont unanimes sur le fait qu’un patient présentant un tel diagnostic aurait bien pu faire une hypoglycémie qui entraîne une mort subite. « S’il est resté au bureau et que, par inadvertance il s’est injecté l’insuline du soir sans avoir mangé, il peut faire une hypoglycémie suivie d’un coma brusque », nous a indiqué un des meilleurs diabétologues de Côte d’Ivoire. L’épouse du défunt est cependant catégorique :« Il n’aurait jamais pris ses insulines sans avoir mangé parce qu’il connaissait les dégâts que cela aurait pu produire ».

    L’un des endocrinologues interrogés précise cependant que l’arrêt cardiaque qui s’en suivrait, « dans l’hypothèse d’une hypoglycémie qui plonge l’individu dans un coma, la mort n’est pas immédiate et le cœur peut être relancé s’il y a une prise en charge immédiate ».

    Si nous sommes dans le scénario que décrivent les endocrinologues contactés, on aurait donc pu sauver la vie GODO KOBE Léopold Max s’il y avait eu une intervention médicale au moment où il agonisait. Des employés sur le site nous ont confirmé que dans le bâtiment Lumière où travaillent tous les jours plusieurs dizaines d’agents, Orange n’avait aucun médecin sur place au moment des faits, encore moins les membres du personnel avaient-ils reçu la moindre formation en secourisme.

    Nous avons également interrogé les médecins sur l’origine du sang constaté au niveau de la bouche du défunt. Ils ont, tous les trois, soutenu que cela pouvait « provenir d’une blessure dans la bouche lors de sa chute ou de convulsions au moment de l’hypoglycémie ».

    L’hypothèse d’un assassinat par son employeur

    Nous avons, depuis plusieurs mois, demandé à Orange de nous permettre de visionner les vidéos du jour du drame, mais notre demande est restée sans suite. Dans l’impossibilité d’accéder aux images des différentes caméras qui filment 24h/24h l’intérieur et les alentours de l’immeuble Lumière, nous avons analysé l’hypothèse selon laquelle, GODO KOBE Léopold Max aurait été tué dans son propre bureau. A priori, cette éventualité exclurait d’office l’employeur parmi les coupables. On imagine aisément que si Orange avait voulu assassiner un de ses agents qui auraient découvert des choses très graves pouvant compromettre l’entreprise, ce n’est pas dans les propres locaux de la multinationale qu’elle procéderait à une telle exécution.

    Reste la possibilité d’une altercation avec un collègue qui aurait mal tournée. Nonobstant tous nos efforts qui nous ont permis de faire parler, sous anonymat, quelques agents qui travaillait le jour où M. GODO a trouvé la mort, aucun des témoignages recueillis ne mentionne un incident entre le défunt et un de ses collègues.

    Orange Côte d’Ivoire est entièrement à blâmer dans cette affaire. En refusant de remettre les images des vidéo-surveillances réclamées par la police, et en ne faisant pas réaliser une autopsie, elle a fait preuve d’une impardonnable irresponsabilité, qui oriente légitimement tous les soupçons vers la multinationale.

    Il n’est cependant pas encore trop tard. Les progrès de la médecine légale sont aujourd’hui tels qu’une autopsie peut encore permettre de lever tous les mystères sur cette mort qui apparaît suspecte aux yeux de plusieurs observateurs.

    Les images des vidéo-surveillances permettraient peut-être d’apporter quelques réponses. Dans une correspondance datée su 1er juin 2023 dont nous avons pu obtenir copie, le célèbre avocat parisien et ancien responsable de la FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) -Me William Bourdon- mandaté par la veuve, enjoint Orange Côte d’Ivoire « de communiquer dans les plus brefs délais les images de vidéo-surveillances des caméras présentes dans les locaux le jour des faits afin que Madame Eva TIETIE puisse, enfin, avoir accès à la vérité et faire son deuil de manière apaisée ». L’avocat français prévient Orange que « Cette mise en demeure est de nature à faire courir tous délais et autres conséquences que la loi et les tribunaux attachent à cet acte.

    Selon nos informations, après notre première alerte sur cette affaire, un nouveau juge d’instruction a été nommé et l’enquête a donc été reprise. Orange a d’ailleurs répondu à l’avocat français qu’elle ne pourrait, éventuellement, remettre les images de vidéo-surveillance qu’à la justice, si elle en faisait à nouveau la demande.

    Le manque d’empathie d’Orange

    Cette affaire révèle un manque total d’empathie d’Orange Côte d’Ivoire. La veuve a rencontré le Directeur des Ressources Humaines une première fois le jour où le corps a été découvert, puis une deuxième fois trois jours après. Depuis lors, elle ne l’a plus jamais vu.

    A l’enterrement, ni le Directeur Général d’Orange, ni le DRH n’étaient présents. Par ailleurs, pour un décès survenu le 25 juin 2020, Orange n’a fait la déclaration à la CNPS (Caisse Nationale de Prévoyance Sociale) que le 06 août 2020, soit plus d’un mois après, alors que l’entreprise est tenue de la faire dans un délai de 48h.

    D’autre part, aucune assistance psychologique n’a été proposée à la veuve et aux orphelins, et c’est une maman et des enfants psychologiquement brisés que nous avons rencontrés dans le cadre de cette enquête. Plus de deux ans après le décès de son époux, la veuve a des visions dans lesquelles elle affirme communiquer avec son époux et elle n’envisage pas de refaire sa vie.

    Responsabilité d’Orange

    Si Orange Côte d’Ivoire avait agi avec diligence, on aurait peut-être pu réanimer la victime en détresse à la suite d’un malaise, si nous nous mettons dans l’hypothèse que cette mort était naturelle. Il y aurait donc négligence coupable de la part de l’employeur qui a pu entraîner la mort. Ceci explique peut-être la réticence d’Orange à laisser visionner des images qui établiraient sa responsabilité et ouvrirait la voie à un procès au civil avec réparation des préjudices subis pouvant coûter quelques centaines de millions Francs CFA à la multinationale.

    Nous avons envoyé, par WhatsApp, une série de questions au Directeur Général d’Orange Côte d’Ivoire. Deux mois plus tard, nous n’avons toujours reçu aucune réponse.

    Ce qui est vrai, est vrai !  

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