Président de deux organisations de magistrats au Mali, Mohamed Chérif Koné est l’objet d’une procédure disciplinaire. Son crime : refuser de plier l’échine face aux violations des lois par la junte.
Les démêlées du magistrat malien commencent lorsque, dans une lettre signée au nom de l’Association Malienne des Procureurs et Poursuivants (AMPP) dont il est le premier responsable, Cheick Mohamed Chérif Koné dénonce le caractère illégal et inique des procédures contre certains anciens ministres du régime IBK.
En réaction, par un décret du 9 Septembre 2021 signé du colonel Assimi Goïta, le magistrat de grade exceptionnel est limogé de son poste de 1er Avocat Général près la Cour Suprême, à peine six mois après sa nomination. Mais ce n’était là que le début des déboires de Cheick Mohamed Chérif Koné, qui ne cessera d’ailleurs pas de dénoncer les nombreuses violations des droits humains qui s’accumulent sous le régime d’exception.
Le 11 Février 2022, celui qui est désormais reconnu comme l’une des rares personnalités publiques à pouvoir encore tenir tête à la junte est convoqué, pour une audition, devant la Cour Suprême, en prélude à une procédure disciplinaire. Mais le magistrat ne se laisse nullement démonté. Il est notamment interrogé sur les propos contenus dans une lettre adressée au ministre de la Justice, dans laquelle il attire l’attention sur des manquements précis, qui menacent, selon lui, la crédibilité d’un appareil judicaire qu’il estime désormais totalement aux ordres de l’Exécutif. Dans le procès-verbal de cette audition dont j’ai pu me procurer une copie, Cheick Koné, dès l’entame, annonce les couleurs : « Si le gouvernement de transition voit la séparation des pouvoirs en terme d’infériorité du pouvoir judiciaire par rapport à l’Exécutif, il revient aux magistrats (…) de se dresser contre de telles dérives inacceptables ».
La lettre qui fâche
Le président de l’Association des Procureurs et Poursuivants du Mali est notamment interrogé sur une correspondance qu’il a adressée au président de la transition, avec ampliation au ministre de la Justice. Dans cette missive, Cheick Mohamed Chérif Koné appelle les autorités à plus de modestie et d’humilité, ce d’autant plus qu’il s’agit d’un « gouvernement de transition sans légitimité démocratique ». Plus loin, l’homme de loi use du thème « vagabondage gouvernemental ». Lors de son audition, sur la question de l’absence de légitimité démocratique du gouvernement de transition, le magistrat ne démord pas : « Je ne vois pas en quoi ces termes seraient inappropriés ou excessifs, sauf à me prouver que le gouvernement en place émane d’un président de la république démocratiquement élu ».
« Quant aux termes vagabondage gouvernemental, pour dénoncer l’intrusion (du gouvernement) dans la conduite des affaires judiciaires, jusqu’à vouloir en être le maître, répond le magistrat syndicaliste, ils n’ont rien d’offensant, le vagabondage signifiant le fait de s’écarter de ses missions pour se retrouver là où l’on n’est pas appelé ». Et Cheick Mohamed Chérif Koné de conclure que relever l’absence de légitimité démocratique « procède plutôt d’une honnêteté intellectuelle, en réaction à des membres irrespectueux et très peu courtois du gouvernement actuel de transition ».
Le premier ministre convaincu de détournements
Dans sa lettre qui a suscité le courroux des autorités de transition, le magistrat affirmait par ailleurs que l’actuel Premier ministre, Choguel Maïga, est mal indiqué pour diriger un gouvernement qui se dit dédié à la lutte contre la délinquance financière. Sur ce chapitre, le magistrat déclare qu’il n’est « un secret pour personne que le dossier de détournement de deniers publics en termes de centaines de millions de nos francs, impliquant le Premier ministre, est un dossier consistant (…) prêt pour être jugé ». Le syndicalise révèle que Choguel Maïga a même commencé à rembourser certaines sommes indûment perçues, notamment dans le cadre de double, voire de multiples salaires, ce qui constitue un aveu de culpabilité de l’accusé. Dans une de ses précédentes vies, l’actuel Premier ministre malien a notamment été Directeur général de l’Autorité Malienne de Régulation des Télécommunication des TICs et des Postes (AMRTP) du Mali. Un rapport du Bureau du Vérificateur Général (BVG) avait mis en évidence d’importants détournements de deniers publics, dans la période où Choguel Maïga dirigeait cette structure. Le BVG avait alors préconisé que l’actuel chef du gouvernement fasse l’objet de poursuites judiciaires. Visiblement très au fait de ce dossier, le patron du syndicat des procureurs du Mali affirme que « des montants fabuleux et vertigineux ont été irrégulièrement décaissés » par l’actuel Premier ministre, sur le prétexte « farfelu et fantaisiste de « frais de colonie de vacances des enfants ».
Le bras de fer se poursuit entre les autorités de transition et Cheick Mohamed Chérif Koné. Convoqué devant la Cour Suprême réunie en Conseil de discipline, le Mercredi 15 juin 2022, le magistrat émérite qui était entouré de cinq éminents avocats, dont le célébrissime bâtonnier Me Kassoum Tapo a récusé trois de ses confrères qui siégeaient. La bataille judiciaire ne fait apparemment que commencer, seul le président de ce Conseil de discipline ayant été récusé par les juges. Nous apprenons de Cheick Mohamed Chérif Koné que ses avocats vont attaquer ce jugement, afin d’obtenir que soient définitivement écartés tous les juges dont la récusation a été demandée, certains d’entre eux ayant déjà exprimé publiquement, sous différentes formes, leur hostilité à celui dont ils sont appelés à se prononcer sur le sort.
Simple tentative d’intimidation
A l’issue de la procédure disciplinaire en cours, Cheick Mohamed Chérif Koné nous a déclaré qu’il ne risque qu’un simple blâme, la peine proposée par le rapporteur du Conseil de discipline. Nonobstant la légèreté de la peine, le magistrat syndicaliste ne compte faire aucun cadeau au système judiciaire qui voudrait manifestement le broyer. « Il s’agit pour moi d’une question de principe. Je veux défendre la loi » a déclaré à lenqueteurdetermine.net Cheick Mohamed Chérif Koné.
Alors que tous les contre-pouvoirs ont été neutralisés, ce célèbre magistrat est devenu, selon les observateurs, le dernier rempart contre ce que Cheick Koné qualifie de volonté des autorités de transition d’instaurer une dictature.
Selon nos sources, cette affaire est suivie de près par la CEDEAO, dont une des conditions pour lever les sanctions qu’elle a imposées au Mali est le respect de la liberté d’expression et des droits humains. Sur place à Bamako, la section des droits de l’homme de la mission de l’ONU, qui a récemment publié un rapport très critique sur les violations des droits de l’homme par la junte, est très attentive afin de s’assurer que tous les droits de Cheick Mohamed Chérif Koné seront respectés.
Ce qui est vrai, est vrai !