Le mardi 25 octobre 2022, Philippe Mhun – Vice-président exécutif des Programmes et Services à Airbus – et le Directeur général d’Air Côte d’Ivoire –Laurent LOUKOU – signaient la convention pour l’acquisition de deux A330-900 par la compagnie ivoirienne. La cérémonie assez sobre, qui s’est déroulée au siège de l’avionneur européen à Toulouse, est l’aboutissement d’un montage qui s’est joué autour d’acteurs clés de la finance internationale en Allemagne, en France et au Royaume-Uni, sous le regard vigilant du président Ouattara en personne, à qui les responsables d’Air Côte d’Ivoire ont directement rendu compte. Enquête.
Pour l’acquisition des deux A330-900, la compagnie nationale ivoirienne a fait montre d’exceptionnelles qualités de négociation, qui ont permis au transporteur ivoirien d’obtenir ses deux avions à des prix plus avantageux que Corsair ou encore Air Sénégal. Si Air Côte d’Ivoire n’a pas souhaité nous révéler le prix de ces avions, les contrats dans ce domaine étant très secrets, une source financière proche du financement de cet achat m’a informé que « la compagnie ivoirienne a obtenu ses aéronefs au prix unitaire de 110 millions de dollars ». Pour les deux avions, ce sont donc 220 millions de dollars qui ont été mobilisés, soit environ 72 milliards 156 millions F.CFA. En 2018, toujours selon la même source, « Air Côte Sénégal avait payé 130 millions de dollars pour un A330-900, moins équipé » que celui qui sera construit pour Air Côte d’Ivoire.
D’où proviennent les fonds ?
L’Etat de Côte d’Ivoire a apporté sa caution à trois agences réputées, pour mobiliser 85% des fonds nécessaires à l’acquisition des appareils. La levée de fonds est conduite par Euler Hermes, une filiale du groupe allemand Allianz spécialisée dans l’assurance-crédit aux entreprises et la délivrance des cautions et garanties. Aux côtés de l’allemande, on retrouve BPI-France, la banque publique française d’investissement, puis UK Finance, qui rassemble plusieurs centaines de fonds et d’établissements financiers du Royaume-Uni. Ces géants de la finance internationale apporteront donc environ 61 milliards de F.CFA de prêt à taux concessionnels, autrement dit nettement inférieurs à ceux du marché.
Selon un avocat d’affaires coutumier du monde de la haute finance, ne sont éligibles au mécanisme de financement qui permet à Air Côte d’Ivoire de mobiliser une somme aussi importante que « des entreprises présentant un Business Plan fiable, des résultats financiers excellents, avec des perspectives prometteuses. Air Côte d’Ivoire coche toutes les cases ». La somme ainsi mobilisée représente 85% du coût des avions. Par ailleurs, affirme l’avocat d’affaire et analyste financier « la solvabilité de l’Etat ivoirien, considéré comme un partenaire de choix dans les milieux de la haute finance, a été un atout de taille pour Air Côte d’Ivoire ».
Selon mes sources gouvernementales ivoiriennes, les 15% restants seront recherchés auprès des actionnaires de la compagnie. Mais en attendant que ceux-ci se manifestent, l’Etat, premier actionnaire qui accorde sa totale confiance à Air Côte d’Ivoire, s’est déjà engagé à avancer, en cas de besoin, la totalité des 11 milliards F.CFA.
Air Côte d’Ivoire, une crédibilité sur les marchés financiers
Si l’opération de mobilisation des fonds pour l’acquisition de ces deux A330 a été possible, c’est aussi parce que la compagnie aérienne présente un historique rassurant. Des sources financières révèlent que « tous les prêts contractés par Air Côte d’Ivoire ont été remboursés à échéance, sans aucun défaut de paiement ».
Toute la flotte d’Air Côte d’Ivoire, constituée actuellement à 70% d’appareils achetés neufs, ont été acquis grâce à des prêts. Selon mes sources à Air Côte d’Ivoire, la dette contractée pour l’acquisition des quatre Bombardier Q400 devrait être entièrement remboursée l’année prochaine. Pour ce qui est des trois A320 opérationnels, toutes les échéances sont respectées.
Les nouveaux avions vont booster l’activité
La mise en service des A330-900 d’Air Côte d’Ivoire, prévue courant dernier trimestre 2024 pour le premier, et en 2025 pour le second, va apporter de grands bouleversements, à la fois sur la compagnie aérienne elle-même, mais également sur la plateforme aéroportuaire d’Abidjan.
L’arrivée des deux avions permettra à la compagnie d’’élargir son réseau. Dès 2024, Air Côte d’Ivoire va desservir Paris avec 7 vols hebdomadaires, à raison d’un vol par jour. Beyrouth suivra avec trois ou quatre vols par semaine. S’ajouteront, à partir du 2e semestre 2025, d’autres capitales européennes et les Etats-Unis. En 2025, la compagnie aérienne passera de 700 mille passagers transportés, à 1 millions, pour un chiffre d’affaire qui passera de 100 milliards en 2021, à 200 milliards F.CFA. L’optimisme financier affiché par les dirigeants de la compagnie est assorti d’une condition, d’après un expert du microcosme du transport aérien ivoirien pour qui « si l’Etat veut aider Air Côte d’Ivoire à accélérer sa rentabilité, il faudrait mieux gérer certains monopoles accordés à des opérateurs privés sur l’aéroport d’Abidjan ».
Dans une note interne de la compagnie aérienne dont j’ai pu obtenir une copie, il est prévu le recrutement d’environ 400 personnes (pilotes, mécaniciens, hôtesses et stewards, agents d’exploitation au sol). De 600 agents présentement, la compagnie en comptera un millier en 2026.
L’augmentation du trafic que va engendrer les nouvelles destinations d’Air Côte d’Ivoire, notamment grâce au lancement de ses vols long-courriers, aura aussi une incidence sur les entreprises qui opèrent sur l’aéroport d’Abidjan. Il est estimé que l’augmentation du volume des passagers transportés par Air Côte d’Ivoire va générer entre 2000 à 3000 nouveaux emplois au sein de l’aéroport d’Abidjan, sans compter d’importantes retombées financières pour les entreprises sur l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, tout comme pour l’Etat.
Une confiance des investisseurs qui se confirme
Le capital d’Air Côte d’Ivoire a été multiplié par cinq en une décennie, signe de l’attractivité de la compagnie et de la confiance des investisseurs. Actuellement à 130 milliards, la compagnie ne comptait, au départ, que trois actionnaires pour un capital de 25 milliards F.CFA : l’Etat (65%) ; Air France (20%) et AKFED, le Groupe Aga Khan (15%). L’actionnariat de la compagnie a évolué en se diversifiant, notamment avec l’entrée de privés Ivoiriens (OPTIMUS HOLDING), conduits par Sidi KAGNASSI, qui y a investi 30 milliards de F.CFA pour devenir le 2e plus gros actionnaire (24%), derrière l’Etat qui ne détient plus que 57%. Le groupe Aga Khan est parti et Air France a régressé, désormais à 11%. Avec 8% des parts, la BOAD (Banque Ouest-africaine de Développement) complète la liste.
Ce qui est vrai, est vrai !
Saïd Penda