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    PETROCI : 10 milliards FCFA de gaz introuvables

    L’affaire défraie la chronique et provoque des remous au sein de la compagnie pétrolière publique, où des hauts cadres en ont déjà fait les frais. Le célèbre cabinet d’audit Ernst & Young dans un rapport d’enquête, fait ressortir une mystérieuse disparition de plus de 19 000 tonnes de gaz d’une valeur de plus de 10 milliards de FCFA. Nous avons investigué sur cette affaire, dans un secteur pétrolier réputé opaque. 

    Tout est parti d’une réunion du comité de direction tenue le 8 Juin dernier, pendant laquelle, faisant le point sur l’arrêté des comptes 2022, le directeur financier porte à l’attention de l’assistance un écart de 22 300 tonnes de butane. En d’autres mots, on ne retrouve aucune trace de 22 300 tonnes de gaz achetés et payés. L’information produit l’effet d’une bombe.

    Selon mes informations, certains membres du Comité de Direction expriment des réserves sur la pertinence des chiffres communiqués par le directeur financier, qui correspondent à la cargaison de plus de deux butaniers, PETROCI se faisant livrer généralement par des navires de 10 000 tonnes. Impossible que de tels volumes puissent être détournés en 12 mois soutiennent des responsables de PETROCI. Il est donc demandé au patron des finances, M. KANTÉ Hassan Keffing de procéder à une investigation poussée pour comprendre comment un telle quantité de gaz acquise avec des fonds publics peut disparaître dans les installations de PETROCI.
    Une semaine plus tard, le directeur financier rend compte de ce qu’il n’avait pas comptabilisé 13.000 tonnes livrées par le fournisseur MIR. Payée en décembre 2021, cette compagnie n’a livré PETROCI qu’en Janvier 2022, d’où l’impossibilité pour le service financier et comptable de retrouver ce stock dans les quantités payées en 2021. C’est du moins l’explication donnée par KANTÉ Hassan Keffing. Problème, malgré la « découverte » de 13 000 tonnes, il reste toujours 9 300 tonnes, sur les 22 300 tonnes dont le directeur financier avait déclaré ne pas retrouver de trace dans sa comptabilité.
    Le rapport du cabinet d’audit est sans appel : le processus d’approvisionnement connaît des failles.

    Branle-bas de combat

    Devant l’impossibilité à trouver des explications convaincantes à ces écarts, la direction générale décide de mandater Ernst & Young (E&Y) pour auditer le processus des achats de gaz et la vente aux grossistes par PETROCI, en vue d’apporter des explications fiables à la disparition de plusieurs milliers de tonnes de gaz.

    Le 05 Août 2022, le cabinet remet à la direction de PETROCI une synthèse provisoire de son enquête. Dans le document dont j’ai pu obtenir une copie, E&Y constate d’abord que les procédures mises en place pour assurer de la transparence dans le processus d’approvisionnement et de distribution de gaz n’ont pas été respectées. Dans une Note de Service N°003-2021-signée de l’ancien Directeur Général, Dr. Ibrahima Diaby- dont nous nous sommes procurés copie, la PETROCI décide d’informatiser tout le processus. Il est notamment précisé que cette directive à valeur d’instruction « met fin à toute utilisation de BL manuels (Bon de Livraison Manuels) qui, d’après une de mes sources, « donnaient lieu à d’importants détournements de produits ».

    La deuxième découverte contenue dans le rapport d’audit provisoire en ma possession provoque un mini-séisme au sein de PETROCI : ce ne sont plus 9 300 tonnes de gaz qu’il faut rechercher -comme le laissait entendre le directeur financier- mais 19.832,78 tonnes qui ont disparu. Valeur estimée par Ernst & Young : 10.820.987, 609,12 F.CFA.

    Dès réception de ce rapport, c’est le branle-bas de combat à la compagnie pétrolière. La direction générale prend dans l’urgence des mesures conservatoires, dans la tentative de contenir ce qui ressemblait à des détournements massifs. Le directeur de la commercialisation des produits pétrolier – COMOÉ Francis – ainsi que le directeur de l’ingénierie et de la logistique – CISSÉ Ismaël – sont remplacés. D’après mes sources, sans qu’on ne puisse pour le moment parler de culpabilité, la responsabilité de ces deux hauts cadres est engagée, notamment parce que la note de service N°003-2022 n’a pas été respectée dans les services dont ils avaient la charge.  « S’ils étaient au courant et y ont participé, c’est très grave et ils méritent la prison. S’ils n’étaient pas au courant, ce serait un aveux d’incompétence et ils doivent être limogés, pour faute grave » m’a déclaré un très haut cadre de la compagnie pétrolière.

    Toujours au chapitre des mesures conservatoires, toute l’équipe de facturation à la base de Vridi a été remplacée ; le personnel de pompage et de gestion des stocks renforcé et, enfin, l’informaticien a lui-aussi été affecté à d’autres fonctions. Par ailleurs, toute l’équipe de gardiennage à la base de stockage et de distribution de Vridi a été renvoyée.

    Ces mesures ont été annoncées dans une note confidentielle envoyée par le directeur général, Vamissa Bamba, au Président du Conseil d’Administration (PCA) de même qu’au ministre du Pétrole, des mines et de l’Energie, dont copie m’a été discrètement remise par une de mes sources.

    La reforme présentée comme majeure dans cette batterie de mesures conservatoires semble être la création d’une commission spéciale dénommée Groupe de Travail Gaz Butane (GTGB), matérialisée par la Note de Service N°013-2022.

    Inversion favorable de tendance

    Dans son Mémo au PCA et au ministre du Pétrole, le Directeur Général de PETROCI soutient que « depuis la mise en place de cette commission, les écarts mensuels entre le volume réceptionné et de vente de butane sont estimés à environ 0,5%. Ce qui est largement en dessous de la freinte admise de 2% ». Le gaz est en effet un produit qui s’échappe à toutes les étapes de sa manipulation et cette perte est conventionnellement évaluée à 2% du volume total.

    L’affirmation du patron de PETROCI, qui laisse entendre qu’on constate une chute drastique du volume de perte depuis l’entrée en vigueur des mesures conservatoires, tend à confirmer les allégations de détournements de gaz contenues dans le rapport provisoire du cabinet d’audit.

    Au sein de PETROCI, quelques hauts cadres avec qui je me suis entretenu relativisent les affirmations de leur patron. Ils estiment notamment qu’il est encore trop tôt et qu’on n’a pas encore suffisamment de recul pour conclure à l’efficacité des mesures conservatoires dans l’inversion de la tendance à des écarts récurrents injustifiés.

    Le DG de PETROCI a pris des mesures en attendant les conclusions du cabinet Ernst & Young.

    Des pressions sur le cabinet d’audit ?

    Alors que plusieurs sources m’informent de pressions de certains milieux sur le cabinet pour qu’il revienne sur le constat de son rapport provisoire, un haut cadre au sein de E&Y qui m’a parlé sous anonymat s’est voulu catégorique : « nous sommes habitués à ce genre de pressions qui relèvent presque de la routine pour nous. Notre rapport final sera le reflet de la vérité ; pressions ou pas pression ». En attendant, en réponse à la synthèse d’Ernst & Young, les services mis en cause ont contesté le volume des écarts indiqués par le cabinet.  

    Quoiqu’il advienne, tout le monde est unanime à PETROCI sur le fait que, quel que soit le résultat définitif de l’audit, il y aura désormais un avant et un après « audit du processus d’approvisionnement et de distribution du gaz butane » d’Ernst & Young. En effet, comme me l’ont confirmé plusieurs spécialistes du domaine, tant au sein de PETROCI qu’externes, « les mesures conservatoires prises à la suite de la remise du rapport provisoire d’Ernst & Young, apportent plus de transparence dans un segment des activités de la compagnie qui évoluait dans une totale opacité ».

    Les leçons à tirer de cette affaire

    En attendant les conclusions définitives de E&Y, l’on constate que la PETROCI qui importe et revend plus de 500.000 tonnes de gaz par an, ne disposait pas d’un système permettant une bonne traçabilité des quantités revendues, laissant la porte ouverte à toute sorte de détournements.

    La deuxième remarque porte sur le contrôle au niveau de la base PETROCI de Vridi où, si on s’en tient au rapport de l’auditeur, on pouvait entrer et ressortir avec des produits, presque comme si on visitait un lieu de culte. 

    Rappelons enfin qu’un autre audit, confié par le ministère du Pétrole, des Mines et de l’Energie, cette fois-ci au cabinet KPMG, pourrait révéler l’ampleur des détournements dans ce secteur gazier dont le monopole de l’importation et de la distribution aux grossistes a été confié, par l’Etat, à PETROCI. De fracassantes révélations en perspective, que nous mettrons à la disposition de nos lecteurs.

    Nonobstant nos nombreuses relances, PETROCI n’a pas souhaité répondre à notre demande d’entretien sur ce dossier.

    Ce qui est vrai, est vrai !

    Des nominations et affectations ont été effectuées pour tenter de contenir ce qui s’apparente à des détournements massifs.

    Saïd Penda

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